Interview

Interview 
DICK BALLARIAN LE NEOPHILE 
40 années de mode, de publicité, de montages et de recherches en photographie 

- Dick, how long have you been living in Paris? 
- 40 years. And I still don't speak French. 


QUIET DAYS IN SAINT GERMAIN 


- En 1973. Peter Knapp - le photographe et directeur artistique de «Elle» - m'avait appelé à New York pour me confier un reportage de mode. Et quand je suis arrivé à Paris, mon ami Antonio Lopez m'a accueilli, rue de Rennes, à Saint Germain. Antonio était déjà très réputé comme illustrateur. Dans son appartement, il y avait là des stylistes, des artistes qui allaient et venaient, des mannequins comme Carol Singleton ou Jenny Capitain, l'icône d'Helmut Newton. Saint Germain des Prés, de belles femmes, de grands artistes… Well, you can't have better conditions, can you? (rires) 


- Pourtant en France, il y avait de la concurrence… 
- Oui, mais j'avais mon style. Et puis je suis d'origine arménienne, alors… De toute façon, si tu voulais être photographe de mode, tu n'avais pas le choix: il fallait habiter ou Paris ou Londres. New York, c'était davantage pour le business de la mode et Los Angeles pour les gens de l'Ouest. Puis après, Jack-Michel Verger, le directeur artistique de Dépêche Mode, m'a confié plusieurs reportages et tout s'est enchaîné très vite. J'ai travaillé pour de grands magazines en France, en Europe et dans le monde, comme Jardin des Modes, Marie Claire, Vogue Allemagne ou Harper's Bazaar. 


- Quelle était alors votre approche de la photographie ? 
- L'exigence. Comme photographe, je n'étais pas facile! Mais tout en étant très exigeant, je ne mêlais pas du travail des autres. Je laissais les maquilleuses maquiller, comme Cindy Joseph, et les coiffeurs coiffer. J'ai toujours eu de bonnes relations avec mes mannequins. En revanche, j'étais très pointilleux sur l'éclairage. Et comme mon ami Paolo Roversi, je faisais l'éclairage moi-même. En studio, je n'utilisais pas de flash, peu de HMI Daylight, surtout des lampes au tungstène. En extérieur, je soignais beaucoup la lumière. Et aujourd'hui, encore! Tous mes essais de lumières étaient testés au Polaroid, comme la plupart de mes confrères d'ailleurs. Mais, moi, j'attachais déjà une grande valeur à ces Polaroids. J'en ai fait des centaines, et j'ai gardé ceux que j'estime avoir une vraie valeur émotionnelle, esthétique et historique. J'utilisais un Polaroid SX70 pro et un Pola Color. Si on veut pouvoir travailler dans toutes les conditions, il faut savoir créer et travailler la lumière pour jouer avec elle. L'expérimentation prend une grande part dans le travail sur la lumière. Mes études de physique à Rochester ont sans doute développé chez moi un amour de l'expérimentation! 


- La mode, la publicité… 
- Ce qui est fantastique avec les photos de mode, c'est que le photographe peut trouver dans le modèle une complicité qui rend la photo bien supérieure à tout ce qu'elle aurait pu être, même avec la meilleure des lumières. Cette complicité rend le modèle vivant, ce qui rend l'image vivante à son tour. Par exemple, un jour Tony Mazzola, le directeur artistique de Harper's Bazaar, m'appelle de New York pour un reportage mode sur Valentino. Il avait booké Brooke Shields pour sa nouvelle collection. Brooke Shields sortait juste de tourner Blue Lagoon. Elle avait un emploi du temps super chargé, mais nous avons réussi à nouer des relations complices en quelques heures. C'était déjà une grande professionnelle, et tout s'est bien passé. Ce reportage a été un énorme succès et Valentino a longtemps utilisé ces photos. 


UNE RECHERCHE PERSONNELLE QUI PASSE PAR UNE ATTAQUE DE BANQUE 

- Il y avait alors une grande compétition entre la presse et la publicité 
- les agences payaient bien mieux. La plupart du temps tout se passait bien, entre la publicité, les films et le reportage de mode. Quant aux mannequins, la publicité les payait, mais c’est la presse qui faisait leur renommée. J’ai fait moi-même beaucoup de publicité…, alors, je comprends! Puis j’ai mis en scène progressivement mon travail personnel. A ce moment, j’ai voulu me libérer de cette mise en scène du tissu pour aller vers une recherche plus novatrice. Il ne faut pas oublier que dans la mode, they have to show their merchandise ! J’ai lu récemment dans un journal, qu’il existait un groupe de gens qu’on appelle les néophiles. Ils sont toujours en quête de nouveautés, ils ont le gène de la migration, ils sont persévérants, créatifs et montrent la voie aux autres. Je suis un néophile. J’ai donc commencé par shooter des fleurs, puis des objets dans l’eau, comme des couverts, des fourchettes. Ce travail sur les végétaux a duré plusieurs années, car j’y revenais toujours entre deux séries de mode. On pourrait l’assimiler à une forme de recherche sur l’abstraction, puisque c’est là qu’il m’a finalement amené, avec la série «Urban Man». 


- Quel a été le passeur qui vous a fait franchir la frontière ? 
- En 1988 à New York, un événement m'a montré qu'il existait un autre chemin: c'est l'exposition de David Hockney au Met's. David avait fait un travail remarquable sur un thème, avec des photos de différentes tailles, juxtaposées les unes aux autres. Je savais qu'il y avait là matière à travailler et je me suis dit : I'd like to try… but I'd like to make it differently. Ses œuvres n'ont rien à voir avec mes montages, mais ce fut le pitch qui m'a amené à chercher dans cette voie. J'ai alors commencé à défaire des images puis à les réassembler, pour voir ce que ça donnait. Cela a été le début de mes expériences dans le photo-montage. Le photo-montage est un mélange d'images à travers lequel on imagine le résultat final. Il s'agit d'un autre regard, subjectif, sur un lieu, un processus lent et complexe pendant lequel se dévoile la photo au fur et à mesure du montage et qui demande beaucoup de patience avant d'en arriver au point voulu. Pour unphoto-montage, j'utilisais plusieurs centaines de photos-contacts, puis j'en développais moi-même plusieurs dizaines que je découpais avec soin, avec une lame pour rasoir à main, puis que je collais pour créer une seule œuvre. J'ai réalisé environ une vingtaine de photo-montages dans toute ma carrière, pas plus. Then my dry mounting press was broken in the process and I gave up... 


- Qu'est ce que le photo-montage apporte de plus par rapport à la photo traditionnelle? 
- C'est un peu comme en architecture: tu transformes l'espace, sa construction, sa profondeur, tu es enveloppé, tu es au milieu de la photo. Le collage, c'est un monde en trois dimensions. Aux deux dimensions de la photo traditionnelle, tu ajoutes une autre dimension, émotionnelle. Mais c'est beaucoup de travail. Par exemple, pour le photo-montage de la gare TGV, j'ai dû retourner 3 fois à Lyon pour prendre les quelques photos qui me manquaient! Dans le photo-montage de Chambord, j'ai réorganisé l'espace et joué avec les symboles, avec mes ready-made, pour en faire un remake et transformer le tout en une nouvelle réalité. C'est ce mouvement de la réalité qui est la clé de la réussite. 


- Puis est arrivé le travail sur l'urbanité, le flouté, le travail sur la transformation des couleurs… 
- La série «Urban Man» a été commencée au début des années 90, après les photomontages. C'est Paris la ville, ses citoyens, qui m'a donné envie de commencer ce travail. Si les collages sont de l'architecture, «Urban Man» c'est de la sociologie. Un travail traditionnel de longue haleine. J'ai pris des centaines de clichés de personnes vivant dans Paris. Les photos sont très travaillées, floutées et c'est précisément ce flou qui donne un mouvement. Je shootais à vitesse lente, environ 1/15e seconde afin de conserver le mouvement des piétons. Je n'ai jamais utilisé d'appareil numérique tout au long de ma carrière, j'ai toujours travaillé avec des appareils traditionnels, de l'argentique. Avant de faire une photo, il faut savoir ce que tu fais ! Et pour voir ce que va donner une prise de vue, je ne fais confiance qu'au Polaroid. C'est ma façon de travailler. Pour faire cette photo «two men in a car», j'ai utilisé 40 rouleaux de pellicule, des dizaines de Polaroids, en tout, ça m'a pris 2 mois pour réaliser une seule photo. Je voulais absolument une photo d'hommes en voiture, avec une certaine lumière. C'est certainement celle qui m'a demandé le plus de travail. Pour moi, elle illustre parfaitement l'équilibre fragile entre le temps immédiat et le travail à long terme. Si les scènes sont spontanées, la prise de vue ne l'est pas forcément, il y a parfois une sorte de préconscience de l'image. Ces personnages, dans la voiture, pourraient être des voyous, des Bank Robbers! 
Dans le bistrot -très parisien- face au Cirque d'Hiver où nous prenons un petit déjeuner, le serveur vient saluer Dick. Il lui tend le menu. A midi, peut-être Dick prendra-t-il ces crevettes marinées au citron dont il dit qu'elles lui rappellent son service dans la Navy. On était alors en 1950. 


Interview réalisé par Jacques Blanc, février 2012

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